Tous ces poèmes vivent seuls.
Ils vivent seuls,
Mais aucun n’a de toit.
Mais aucun n’a de murs.
Ils ne logent pas dans les pages,
Dans les pages d’une revue propre.
Non — ils campent dans une tente,
Sous un pont.
Dans une tente sale,
Dans une tente étroite.
Trop sale pour accueillir quelqu'un d'autre.
Trop étroite pour contenir un recueil.
Sous un pont, oui,
Entre des flaques d’urine et des canettes vides.
Cette tente — ou cette épave de toile —
C’est une tente d’édition :
Sans statuts, sans capital, sans numéro.
Comme la Tente de la Rencontre,
Elle se dresse à l’écart du camp.
À l’écart du camp des poètes officiels.
À l’écart des anthologies légitimes,
Que certains ont fui.
Que nos pères ont désertés.
Chaque poème attend-là,
Qu’on le lise.
Qu’on le retrouve,
Sous une forme différente.
Comme un conte.
Avant d’être imprimé,
Ces poèmes sont mémorisés.
Avant d’être imprimé,
Ils sont racontés.
Non — ils sont crachés au visage.
Dans des salles de musée,
Dans des rames de métro,
Dans des bars de nuit.
Crachés au visage,
Là où les mots doivent sonner,
Pour qu’on les écoute,
Pour qu’on les retienne,
Et pour qu’ils agissent.
Craché au visage,
Malgré les rires, les insultes, les coups parfois,
De ceux qui ne lisent pas,
Mais qui, un jour, pourraient reconnaître un souffle.
Parce que la salive est plus ancienne,
Plus ancienne que les critiques, les prix, les librairies.
Plus ancienne que l’écriture elle-même.
Parce que la salive est le premier roseau, taillé en pointe.
Et peut-être le dernier.
Te cracher de la poésie au visage